Le droit made in USA mondialisé : une nouvelle arme de l’impérialisme. (Al-Akhbar)


  Lina Kennouche

Depuis plusieurs années les Etats-Unis ont développés une arme de destruction massive , le droit tricoté par ultralibéraux qui gouvernent à Washington/Wall Street depuis des lustres. Ainsi, sous des prétextes le plus souvent inventé, du genre corruption ou aide au terrorisme, non respect des sanctions imposées aux autres pays par l’Amérique, des firmes du reste de la planètes peuvent être détruite, rackettées, interdites de business par la volonté des génies affairistes d’outre Atlantique. C’est par exemple la cas d’Airbus gravement menacé par cette offensive à laquelle l’Europe, bien sûr, prête le flanc.

La publication prochaine d’une liste qui allonge le nombre de personnalités et d’institutions libanaises visées par des mesures de rétorsions est attendue avec une grande perplexité. L’offensive juridique agressive dans le cadre de loi américaine de 2015 sur la prévention du financement international du Hezbollah (qui permet au Trésor américain d’imposer de sévères sanctions à toute institution financière étrangère facilitant des transactions pour le compte de l’organisation ou des entités listées) s’apparente de plus en plus, selon certains observateurs libanais, à un mandat américain sur les finances du Liban. Mais si cette arme politique explicitement tournée, au Liban, contre le Hezbollah dans le but d’accentuer les pressions sur sa base sociale n’a pas permis d’affaiblir une organisation profondément ancrée dans le tissu social libanais, elle reste néanmoins un puissant levier de dissuasion et de chantage.

La politique judiciaire extraterritoriale qui repose sur la double capacité des Etats-unis à contrôler les circuits financiers et d’information est, en effet, devenue le principal instrument de défense de leurs intérêts stratégiques. L‘entrée en vigueur, le 2 août dernier, du Cuntering America’s Adversaries Through Sanctions Act qui édicte des sanctions dépourvues de toute légitimité internationale contre la Russie, l’Iran et la Corée du Nord s’inscrit directement dans la bataille stratégique livrée par les Etats-unis pour le maintien de leur hégémonie globale.

Depuis l’adotion du Patriot Act en 2001 (dans le contexte de la lutte anti-terroriste) la machine de guerre judiciaire américaine a tourné à plein régime pour instaurer un état d’exception planétaire en subordonnant le droit aux intérêts nationaux de Washington. Le Foreign Account Tax Compliance Act (2010) conférant au FISC des pouvoirs extraterritoriaux marque un tournant décisif dans ce processus de « conversion du modèle de puissance » (selon l’expression de Hervé Juvin, président de l’Observatoire Eurogroup Consulting) qui repose sur la capacité à produire des normes et les imposer de manière universelle. Au centre de ce nouveau modèle stratégique, l’extraterritorialité du droit américain constitue une arme redoutable qui, en détruisant les principes d’intangibilité de la souveraineté et de territorialité des lois, frappe les intérêts contraires aux orientations de la politique américaine et conforte la domination de Washington dans les secteurs stratégiques.

La systématisation du recours à un arsenal juridique conçu dans l’intérêt exclusif des Etats-unis est supposé pallier les insuffisances d’un modèle reposant sur la force militaire brute et la puissance économique désormais âprement concurrencée. La révolution dans les affaires militaires (liée aux mutations de l’arsenal modernisé par l’électronique) comme « paradigme stratégique » censé garantir la pérennité de l’hégémonie impériale a montré ses limites à l’épreuve des guerres d’Afghanistan et d’Irak. La modernisation continue des forces armées américaines, la supériorité technologique qualitative qui assure le contrôle des airs et a fortiori du théâtre des opérations n’ont cependant pas permis de développer la flexibilité et l’adaptation opérationnelle aux innovations qu’exigent les guerres asymétriques. Le chercheur en géopolitique français Alain Joxe rappelle dans son ouvrage les Guerres de l’empire global (La Découverte, 2012) que cet « autisme dérive de la disparition d’un ennemi clair et distinct et entrave la naissance d’une pensée stratégique permettant de maîtriser l’interaction avec l’autre en fonction d’un but politique ». Pour surmonter cette incohérence stratégique, la nouvelle philosophie militariste de l’administration Obama a exhibé le concept de« leading from behind » qui forge l’illusion que les Etats-unis tout en tentant de se dégager du terrain maitrisent un rapport de force complexe et contrôlent suffisamment les dynamiques pour peser sur les évolutions. L’application de cette doctrine à l’occasion du conflit en Libye et dans le cadre de la crise syrienne révèle l’étendue de ses limites.

Confrontés à ces impasses stratégiques et face à leur insuccès permanent à se construire comme « hyperpuissance » dans un contexte géopolitique transformé par l’ascension de nouvelles puissances internationales et régionales, les Etats-unis ont procédé à une reconversion du modèle : la domination impériale par occupation militaire cède le pas à l’hégémonie par le droit. L’ auteur de l’ouvrage « Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé : Les idées qui ont pris le pouvoir et comment le reprendre » (Pierre-Guillaume de Roux : 2015) Hervé Juvin, note qu’il devient dès lors « très difficile de s’opposer à ce smart power, véritable idéologie qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme, la libre concurrence non faussée, le droit des consommateurs, le droit des minorités etc. ». Cette stratégie globale de puissance mobilise des ressources considérables en matière de recueil d’information et de renseignement. Dans le sillage du Patriot Act des pouvoirs élargis sont conférés aux différentes agences CIA, NSA, FBI pour collecter des données informatiques et les transmettre aux organismes qui surveillent l’application des sanctions américaines à l’instar du département de la justice (DOJ), du Trésor ou de la la Réserve fédérale et l’Office of Foreign Assets Control (OFAC).

Or cette position de toute puissance juridique qui profite de l’hégémonie du dollars dans le système monétaire international et repose en partie sur l’abandon d’autonomie décisionnelle ou la solidarité contrainte de la part des alliés des Etats-unis pourrait être remise en cause sous l’impulsion de deux facteurs.

Alors que ces dernières années les partenaires des Américains au premier rang desquels l’Europe ont appliqué avec célérité les sanctions imposées par Washington, il n’est pas certain que cette situation perdure dans un contexte où leurs intérêts économiques sont de plus en plus menacés. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour appeler l’Europe à protester énergiquement contre les sanctions très sévères auxquelles sont soumises par ricochet ses entreprises. Les Etats-unis contrôlent en effet le volume d’investissement des sociétés européennes qui sont empêchés de dépasser un certain seuil, et celles qui trouveraient un intérêt à commercer avec l’Iran ou la Russie dans le secteur énergétique sont lourdement pénalisées. En raison des contradictions d’intérêts objectifs, les positions conciliantes de l’Europe sur le plan politique pourraient finalement laisser place à une plus grande fermeté dans la protection de ses intérêts économiques.

Par ailleurs, l’abus de ce pouvoir d’extraterritorialité risque fortement d’inciter Chinois et Russes à accélérer leur efforts pour créer des paniers de monnaie alternatifs. La Chine a d’ores et déjà commencer à libeller les exportations en Yuan dans le cadre de plateformes qui dépendent de Pékin ou de Moscou. La lente transformation présageant de la fin de la suprématie du dollars américain semble donc déjà à l’oeuvre.

Lina Kennouche

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